Tu sais, tout le monde n’a pas besoin d’être fondamentalement bon ou mauvais.
Tout le monde n’a pas non plus besoin d’un but à sa vie ou d’une raison pour exister.

Certaines personnes sont, tout simplement. En soit, ça leur suffit. Elles ne se posent pas de questions, ne s’inquiètent ni de l’avenir ni du passé.

Tu sais, au fond, tu n’es pas différent des autres Fred’.

Creux, vide, terne, certes, mais humain malgré tout. Tu n’as pas besoin d’être quelqu’un d’intéressant pour aller au bout de l’aventure. Cette vie, tu la subis comme un mauvais jeu dont tu n’as jamais demandé à être joueur. Tu te lèves, chaque matin, en étant conscient de ne pas exister pour les bonnes raisons… Et ça te convient. Après tout, c’est toujours ainsi que ça a été, n’est-ce pas ? L’ambition, les rêves, les idéaux… Ça n’a jamais frappé à ta porte. Parfois, rarement, on t’a prétendu de grands projets, mais l’illusion s’est toujours vite brisée. Tu n’es pas ce genre d’homme.

Tu es un pion.
Un cavalier, au mieux.

Tu es celui que le roi contrôle et qui obéit aveuglément. Tu n’as ni désir, ni envie. Tes aspirations sont en réalité celles de ton Savior et personne n’a jamais estimé un autre avenir que celui d’un pantin pour ta personne... Et tu n’es pas celui qui protestera contre cette objectivation. C’est une part de toi, une partie inhérente à ta personne : tu n’existes pas sur le plan humain. Tu n’as jamais existé. Ceux qui te mentionnent, autant en bien qu’en mal, mettent rapidement un terme à une conversation qui se veut fade et sans saveur. Après tout, qu’a-t-on à dire d’une marionnette aussi inintéressante ? Et même si l’on tentait de s’envenimer sur ton manque de réactivité : que pourrait-on en tirer ?

Tu n’es pas inconscient d’être allègrement utilisé. C’est la décision que tu as prise, c’est un choix. Oui. Un choix. Difficile à concevoir, n’est-ce pas ? Tu ne sais pas dire non. Tu n’as pas suffisamment de personnalité pour t’opposer à des désirs plus forts que les tiens… Alors tu acceptes. Toujours. Sans jamais protester, sans jamais manifester la moindre réticence. Que l’on te demande de tuer ou de voler n’y change rien : il suffit de te demander pour recevoir. C’est ainsi que tu fonctionnes n’est-ce pas ?

Dis, Fredrick, n’est-ce pas une sorte de fuite en soit ?

Est-ce par crainte, par peur inavouée, que tu laisses les autres te dicter qui tu es ? Chacun voit en toi ce qu’il veut bien y voir. On trouve toujours son pendant en ta personne. Toujours. Et ce uniquement, car tu es ridiculement manipulable… Tu n’as aucune personnalité propre alors, inconsciemment, les personnes qui s’embarrassent de ta présence t’en attribuent une pour ne surtout pas être confronté au vide de ton existence. On se ferme les yeux, on prétend que tu es heureux, que tu es normal, mais quel odieux mensonge est-ce.

Tu n’es rien de tout ça.

Ton seul éclat d’existence prend forme lorsque l’on te demande d’agir à l’encontre des intérêts Crimson Realm, de ta famille. Soudain, la marionnette prend vie suffisamment longtemps pour s’opposer, pour manifester un désaccord qui, même s’il relève de la fidélité aveugle, est suffisamment important pour prouver que quelque chose existe derrière ce regard vide et ce visage inexpressif. Tu n’es pas mort. Tu es un homme éteint, un fidèle exemplaire, un agent modèle, mais ton cœur n’a pas cessé de battre pour autant. Sans doute possède-t-il des désirs dont lui-même n’a pas conscience. Quelque chose à éveiller, une flamme à rallumer.

Mais pas aujourd’hui, n’est-ce pas ?

Aussi triste soit-elle, tu es le dernier à pleurer ta condition. As-tu seulement conscience de la position qui t’es offerte ? En haut, on te fait confiance parce que l’on sait que tu es aveuglément dévoué. Il n’y a que Crimson Realm à tes yeux et tu n’es pas quelqu’un de suffisamment humain pour que l’on te détourne d’eux. Tes yeux, tu les poses sur ton Savior et personne d’autre. Tes amitiés sont des visages qui s’entêtent à te revoir, tes conquêtes sont des désespérés heureux d’obtenir un oui aisé, le garçon partage ton sang est un vulgaire souvenir t’ayant abandonné…

Oui, vraiment : dans ton monde à toi, il n’y a que Lui.